Discours de l’ambassadeur aux Français d’Afghanistan à l’occasion du 14 Juillet 2021
Mes chers compatriotes,
Cette année encore, la situation nous empêche de nous réunir à l’ambassade, comme c’est l’habitude pour les Français de l’étranger. Au-delà de la pandémie, au-delà de la sècheresse, l’Afghanistan vit des moments très difficiles. Nous appelons à la fin de l’offensive militaire en cours des talibans, des meurtres ciblés qui ont lieu dans tout l’Afghanistan, de la destruction des infrastructures vitales et des menaces contre les progrès politiques et sociaux que les Afghans ont réalisés au cours des vingt dernières années avec notre soutien.
Les talibans pillent, incendient, détruisent des bâtiments et les réseaux d’énergie et de communication. Ils détiennent et tuent sans discrimination des civils et attaquent les établissements pénitentiaires. Tout cela démontre le mépris total des talibans pour l’état de droit.
Dans les territoires qu’ils occupent, les talibans publient des déclarations qui répriment les droits humains des femmes et des filles. Ils ferment les médias dans les zones qu’ils contrôlent, pour étouffer la liberté d’expression et susciter la peur chez les Afghans.
Dans ce contexte, nous avons désormais achevé l’opération de mise en sécurité des employés afghans de l’ambassade, de l’Institut Français et de la Délégation archéologique. Nous avons même pu inclure dans son périmètre les employés d’AFRANE, l’ONG historique française, sur laquelle s’est appuyée depuis 40 ans la coopération française. Les autorités françaises ont en effet généreusement proposé aux dirigeants d’AFRANE de prendre en charge leurs collaborateurs et leurs familles, de les emmener en France, et de les y accueillir dans le cadre du droit d’asile.
Cette opération a pris du temps. Elle s’est échelonnée sur plusieurs semaines, pour que nos collègues et leurs familles puissent tous être convenablement accueillis en France par les différents services de l’Etat.
C’est une grande fierté pour moi de constater que les autorités françaises, sans l’ombre d’une hésitation, ont décidé de mettre en sécurité nos collègues afghans, comme elles l’avaient fait, il y a plusieurs années déjà, pour les interprètes de l’armée française après son retrait. Il est tout à l’honneur de la France de leur avoir proposé de les accueillir à un moment où leur sécurité n’est plus assurée. Elle leur est reconnaissante de leurs années de travail, loyal et efficace, -pendant près de 20 années pour certains- au service de ses institutions diplomatiques et culturelles. Je leur souhaite une vie heureuse dans notre pays, avec leur famille, même si je sais qu’elle sera difficile, au début tout au moins. Ils ont toute ma reconnaissance, mon estime et mon amitié.
En raison de l’évolution de la situation sécuritaire dans le pays et compte tenu des perspectives à court terme, l’Ambassade de France appelle tous les Français qui se trouvent actuellement présents en Afghanistan à quitter le pays.
Le gouvernement mettra en place un vol spécial le 17 juillet au matin, au départ de Kaboul, afin de permettre le retour en France de l’ensemble de la communauté française.
Ce vol est gratuit. Aucun vol spécial supplémentaire ne pourra être affrété.
Nous recommandons formellement à tous les Français d’emprunter ce vol spécial et pour cela de se signaler immédiatement auprès de l’ambassade. Nous devons vous informer, vous qui projetez de rester en Afghanistan après le 17 juillet, que nous ne serons plus en mesure d’assurer la sécurité de votre départ.
En ce qui concerne l’équipe de l’ambassade, elle est au travail. Nous poursuivons notre tâche, en maintenant, aujourd’hui plus que jamais, notre soutien à la république islamique d’Afghanistan.
En 2022, nous commémorerons le centenaire de la Délégation archéologique française en Afghanistan, la DAFA, et avec lui l’établissement des relations entre nos deux pays. C’est un moment que nous préparons avec passion, avec le sens du temps long et la conscience de l’importance de cet héritage. Lorsqu’il ouvrit son pays au monde et à la France, à l’indépendance, en 1919, le roi Amanullah Shah avait en effet trois convictions qui restent plus que jamais d’actualité :
1/ il fallait substituer l’identité afghane aux identités ethniques. Si le pays veut connaître la paix, la concorde et la prospérité, cet objectif reste impératif.
2/ l’éducation publique pour tous, filles et garçons, et pas seulement jusqu’à 12 ans, est un droit, un devoir et une nécessité. Quel que soit l’avenir, aucun retour en arrière ne sera acceptable sur ce point.
3/ Enfin, et c’est la raison pour laquelle le roi avait fait appel aux archéologues français, le pays doit retrouver son histoire pour que le peuple ait pleinement conscience de la richesse de son identité. L’Afghanistan est un pays islamique, et ce fut aussi un pays de culture hellénistique par l’héritage d’Alexandre le Grand, un pays qui connut les pièces d’Aristophane et les enseignements d’Aristote un millénaire avant la France et l’Europe. L’Afghanistan fut aussi le pays des premiers temps du bouddhisme, puis un lieu d’une grande richesse, au carrefour des Routes de la Soie, et d’une immense créativité artistique, notamment au royaume d’Herat, dont les enlumineurs inspirèrent le monde.
Le lien qui nous unit, nous les Français, à l’Afghanistan, est mystérieux mais tellement fort : un siècle de coopération, mais aussi un engagement total des humanitaires français dans les années 1980, pour tous au prix de risques immenses, pour certains au prix de leur vie. Je rappelle que 90 soldats français sont tombés ici.
Fiers et respectueux de cet héritage, et soucieux de tout faire pour que le pays ne retombe pas dans les ténèbres d’un régime d’un autre temps, nous poursuivons notre effort de coopération, en l’adaptant aux circonstances nouvelles.
Vive la France, vive l’Afghanistan !