Préserver le passé pour construire l’avenir : un siècle de recherches à la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA)

A l’approche du centenaire de la DAFA, cette courte note entend revenir sur son histoire riche et mouvementée, intrinsèquement liée à celle de l’Afghanistan, et donner un aperçu des recherches qu’elle mène à l’heure actuelle.

Un historique de recherche très riche

En 1919, lorsque l’émir Amanullâh Khân monte sur le trône, l’Afghanistan retrouve sa souveraineté et son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Progressiste, le souverain engage le pays dans un programme de modernisation à marche forcée, doublé d’une restructuration institutionnelle. Parfaitement instruit du rôle de la France en matière d’éducation laïque et de coopération culturelle en Orient, Amanullâh Khân, désireux d’ouvrir les portes de l’Afghanistan à la communauté scientifique internationale, accorde à la France le monopole des recherches archéologiques. Le 9 septembre 1922, une convention est signée entre l’Afghanistan et la France, et la DAFA voit officiellement le jour à Kaboul sous la direction d’Alfred Foucher.

C’est seulement avec la fin de la Seconde Guerre mondiale que d’autres pays s’engagent au côté des Afghans pour explorer leur passé. Américains, Indiens, Britanniques, Soviétiques, Italiens et Allemands… tous sont intéressés par le patrimoine exceptionnel de ce pays. Mais cet engouement scientifique est brisé en 1979 par l’invasion soviétique, suivi en 1982 par la suspension des activités de la DAFA et le début d’une instabilité politique et sécuritaire qui dure jusqu’en 2001. Cette année-là, Bamiyan est le théâtre d’un désastre majeur pour le patrimoine mondial : la destruction des grands bouddhas, qui va déboucher sur une prise de conscience des désastres patrimoniaux dans les pays en crise.

En 2002, après des années de conflit, l’Afghanistan, pillé et meurtri par l’occupation talibane, ne dispose que de moyens dérisoires pour faire face à la reconstruction culturelle du pays. En 2003, la réouverture de la DAFA à Kaboul, sous la direction de Roland Besenval puis de Philippe Marquis et enfin de Julio Bendezu-Sarmiento, témoigne de la gratitude et de la fidélité de la France envers l’Afghanistan et fortifie également la position historique et archéologique privilégiée de ce pays dans la région. Depuis, de grands programmes scientifiques se succèdent, consacrés à l’étude des occupations anciennes de ce vaste territoire.

Le rôle de la DAFA depuis sa réouverture

Aujourd’hui, les travaux et les recherches scientifiques de la DAFA sont menés dans le cadre d’un accord de coopération franco-afghan signé par l’Ambassade de France en Afghanistan et le Ministère de l’Information et de la Culture de la République islamique d’Afghanistan. Le Traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan, signé en 2012 et prévu pour une durée de 20 ans, renforce la présence de la DAFA et son rôle dans la région.

La principale mission de la DAFA est scientifique et repose sur les travaux menés par ses chercheurs et ses collaborateurs. Cependant, depuis sa réouverture, elle a élargi son champ d’action et a su mettre en place une gestion raisonnée du patrimoine archéologique, sachant qu’on ne peut protéger au mieux que ce que l’on connaît bien.

Les principales orientations définissant notre action sont au nombre de cinq :

1)- La production de connaissances scientifiques, qui passe par le développement des recherches pour la connaissance du passé afghan. Pour cela, nous mettons en place des travaux de terrain en collaboration avec les institutions locales.
2)- La conservation et la préservation du patrimoine, notamment la lutte contre la destruction de sites et le trafic d’antiquités, ainsi que la protection et la restauration des collections muséales et des monuments anciens.
3)- La formation et l’information, notamment des jeunes Afghans (fig. 1) qui se destinent à une activité touchant au patrimoine de l’Afghanistan (archéologues, restaurateurs, conservateurs de musée).
4)- L’inventaire et la mise en valeur du patrimoine afghan, afin de lui redonner toute sa place au sein du patrimoine culturel mondial et d’en favoriser l’accès par le grand public.
5)- Un travail d’expertise, car la capacité de conseil de la DAFA est sollicitée dans plusieurs domaines liés à l’archéologie, la muséologie et la restauration.

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Nos engagements au service du développement culturel en Afghanistan sont nombreux. Nous sommes aujourd’hui un partenaire incontournable pour toute recherche et mise en valeur du patrimoine afghan, et cela avec le soutien majeur du Président de la République, M. Ashraf Ghani, et de son Vice-président, M. Sarwar Danesh, que nous avons rencontrés à plusieurs reprises depuis 2014. Cet appui politique est indispensable dans le contexte sécuritaire actuel, mais surtout pour le fort engagement de chacun et l’énergie que certains de nos projets demandent. Bien qu’il soit vivement déconseillé de travailler dans les régions méridionale et orientale du pays, fort heureusement une grande partie du pays reste accessible aux recherches de terrain.

Actualité des recherches en Afghanistan

Les activités scientifiques de la DAFA englobent toute l’histoire de l’Afghanistan et de plusieurs pays voisins où notre institution a compétence scientifique (principalement l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan, le Pakistan et la Chine), depuis leur origine jusqu’au XIXème siècle. Depuis 2016, nos programmes de recherche ont évolué selon les souhaits légitimes de l’administration patrimoniale afghane et selon des choix scientifiques concertés avec les missions étrangères et les autres institutions patrimoniales internationales (UNESCO, AKTC (Aga Khan Trust for Culture), ACKU (Afghan Centre at Kabul University), etc.) pour éviter toute double action inutile.

Parmi nos principales activités, la DAFA poursuit ses recherches dans le nord du pays, intensément exploré avant la guerre, et notamment à Bactres. Sur le plan scientifique, ces travaux s’avèrent très fructueux, la découverte de niveaux pré-achéménides et de l’âge du Fer ancien sur le Bala Hissar de Balkh et celle de niveaux contenant un matériel céramique et numismatique hellénistique à Tepe Zargaran apportant des éléments concrets pour étayer l’étude des occupations anciennes de la Bactres antique (fig. 2).

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Plus récemment, la découverte et les travaux qui ont suivi sur le site fortifié de Cheshm-e Shafa dans la partie sud de l’Oasis de Bactres suggèrent un contrôle de l’accès à la partie nord du pays lors des périodes pré-achéménide et achéménide. Ce site exceptionnel devra à l’avenir faire l’objet de nouvelles études (fig. 3, 4).

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Depuis 2014, la DAFA a repris les fouilles archéologiques sur le site de Hadji Piada (Noh Gonbad), l’un des principaux monuments islamiques de l’Oasis de Bactres, où se trouve la plus ancienne mosquée conservée du pays. Les observations préliminaires indiquent la présence d’un habitat probablement dense avec une continuité d’occupation entre le Ve et le XVIIe siècles sur le site (fig. 5).

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Depuis 2014, la DAFA intervient également dans la ville d’Herat, qui est devenue dès 1405 la seconde capitale de l’empire timouride et a connu un développement culturel particulièrement remarquable durant le XVe siècle. Les monuments du « Mosallâ » constituent un excellent témoignage de l’importance de cette ville à cette époque, révélés par plusieurs campagnes de sondages, prospections et d’études du matériel archéologique menées par la DAFA. Ce projet de recherche a aussi permis à de jeunes archéologues afghans de parachever leur formation, à la fois sur le terrain et lors du traitement du matériel post-fouille.

Dans le cadre de la mise en valeur du patrimoine de la vallée de Bamiyan, l’UNESCO a sollicité l’expertise de la DAFA afin de réaliser des sondages et des fouilles en amont du travail de restauration entrepris par l’équipe d’ICOMOS Allemagne à Sharh-i Ghologola (XIIIème siècle). Les travaux que nous menons sur ce site depuis 2013 ont permis de comprendre son organisation générale et le mode de construction en terrasse de la cité. Elle se compose en effet d’une succession de terrasses sous lesquelles sont creusées des caves servant vraisemblablement d’entrepôts, de citernes, voire même d’habitats. Différents types de bâtiments sont construits sur les terrasses, s’adaptant à la topographie, parfois maintenus par des murs de soutènement.

Depuis 2015, grâce à un financement de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger et avec le soutien de la DAFA, Thomas Lorain cartographie et prospecte l’ensemble de la vallée de Bamiyan, remettant à l’honneur l’archéologie des périodes islamiques. Ce projet reste essentiel et devra se poursuivre, à un moment où les questions religieuses et identitaires sont au cœur des débats politiques et sociétaux.

Dans la province du Logar, la DAFA apporte un soutien scientifique et technique (sur le terrain et en laboratoire) à l’Institut National d’Archéologie dans le cadre de la grande opération de sauvetage de la zone de Mes Aynak. La quantité importante de données collectées sur cet ancien site minier, comme l’impossibilité de conserver sur place des vestiges dégagés, à cause d’une présence de plus en plus importante des talibans, ont conduit à mettre sur pied une étroite collaboration entre la DAFA et les archéologues afghans afin de définir une méthodologie adaptée à une archéologie de sauvetage. La DAFA œuvre actuellement à la préparation d’une première monographie sur cet exceptionnel ensemble de monastères bouddhiques regroupés autour d’une mine de cuivre.

Enfin, le projet phare de la DAFA est la Carte Archéologique de l’Afghanistan. Ce projet d’envergure et d’avenir, lancé en 2014, a pour objet de répertorier les sites archéologiques et les monuments historiques de ce vaste pays et de les localiser précisément afin de mieux faciliter à la fois leur étude et leur préservation en freinant les pillages. Jusqu’à maintenant, plus de 3000 nouveaux sites, pour la plupart historiques, ont pu être découverts à travers le pays (fig. 6).

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La mise en place d’un SIG (Système d’Information Géographique) permet aujourd’hui de prospecter, d’acquérir, d’archiver, d’analyser et de représenter des données géo-référencées. Ces informations bénéficient aux responsables institutionnels des ministères de l’urbanisme, du développement ou encore des mines, en leur offrant une aide supplémentaire à la décision ; c’est d’ailleurs là l’objectif majeur de la mise en place du projet de carte archéologique qui dépasse largement son rôle purement historique et archéologique.

Conclusion

La DAFA fêtera prochainement un siècle de présence et d’activité archéologique en Afghanistan, au service de la connaissance de son histoire. La réalité de l’action de la DAFA depuis sa réouverture en 2003 a montré qu’en dépit de conditions locales compliquées, il demeure possible de mener des recherches collectives sur une grande partie du territoire. Cette institution a toujours montré sa capacité à s’adapter au mieux au contexte très mouvant de l’Afghanistan. Ainsi, la signification de l’action scientifique de la DAFA doit être considérée dans son contexte afghan et n’est légitime que dans la mesure où elle permet à nos collègues locaux d’atteindre un bon niveau de formation et d’expertise qui permet de les associer pleinement aux recherches en cours. C’est également en constatant l’érosion croissante du potentiel archéologique afghan qu’il nous semble essentiel de participer amplement à sa protection, seul moyen à terme de pouvoir s’assurer de la possibilité de continuer à en réaliser l’étude scientifique.

par Julio Bendezu-Sarmiento - mai 2018

Publié le 07/09/2020

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